mercredi 1 août 2012

La Galerie (3ème partie sur 3)

Et voici la suite du texte...

POUSSEBOIS. – J’adoube.
THEORIC. – Adouber est permis
ABDEL. – Nous ne jouons pas comme la petite fille.
BOURGOGNE. – Abdel, fais bien attention, ne te presse pas.
GAUCHER. – C’est l’heure de la boulette, le moment psychologique, il faut bien regarder.
BOURGOGNE. – Oui, parce que celui qui ne regarde pas bien ne voit pas bien, et celui qui ne voit pas bien, juste et loin, marche aux abîmes. Prends bien garde, Abdel ; je commence à pressentir qu’on te préparer un mauvais coup. (A M. Lamomie) Vous, monsieur, qui venez tous les jours assister aux luttes pacifiques de l’Echiquier, êtes-vous de cet avis ?
LAMOMIE. – Je ne connais pas le jeu.
BOURGOGNE. – Mais alors, sans indiscrétion, que venez-vous faire à la Régence ?
LAMOMIE. – Je suis marié.
BOURGOGNE. – C’est étrange.
GAUCHER. – Il est roué comme une potence, et même comme une petite grenouille.
BOURGOGNE. – Allons, joue : Feu !
ABDEL. – Si je prends le Fou, je suis mat.
THEORIC. – en trois coups.
BOURGOGNE. – Alors, ne prends pas le Fol… Prends plutôt un verre de n’importe quoi, pour te donner des forces.
VIARDOT. – C’est défendu par le Prophète.
BOURGOGNE. – Il n’y a pas de Prophète ici, monsieur, à moins d’aller à l’Opéra. Abdel, je te conseille de boire un verre à la santé de Monsieur de Voltaire, et qu’il en crève.
ABDEL. – Moussu de Voultaire est oune grand houmme.
BOURGOGNE. – Et Mahomet ?
GAUCHER. – Est son Prophète.
THEORIC. – Oui et non. Il y a à boire et à manger.
BOURGOGNE. – Tout est beau dans la nature, qui murmure le long du mur de la sous-préfecture de Saumur.
ABDEL. – P pr C. (8….d6xé5) Je prends le Cheval blanc.
CLASSIC. – Quand on prend des chevaux on n’en saurait trop prendre.
POUSSEBOIS. – D.5T. Echec (9.Dd1-h5+)
GAUCHER. – Il fallait s’y attendre. Allons, démarre. Te voilà déroqué.
ABDEL. – R.2D. (9….Ré8-d7)
POUSSEBOIS. – F pr PC. (10.Fh4xg5)
THEORIC. – Bien joué.
BOURGOGNE. – De parc et d’autre.
ABDEL. – F.2CR. (10….Ff8-g7)
POUSSEBOIS. – F.5CD. (11.Ff1-b5+)
BOURGOGNE. – On dit échec, parce qu’il y a échec à son échec.
POUSSEBOIS. – Echec.
BOURGOGNE. – A qui ?
POUSSEBOIS. – A Sa Majesté nègre.
GAUCHER. – Voilà un roi qui va se promener la canne à la main.
ABDEL. – R.3D. (11….Rd7-d6)
BOURGOGNE. – Défends-toi.
POUSSEBOIS. – F.3R. (12.Fg5-é3)
BOURGOGNE. – Que veut ce Fol ? Abdel, chasse-le de ta présence.
ABDEL. – P.5FR. (12….f5-f4)
TÊTE DE FLEUVE. – Nous allons manger. Il y avait un petit homme qui voulait manger un Fou. A vous, ma biche.
BOURGOGNE. – Ca lui apprendra. Et ron ron ron, petit patapon.
POUSSEBOIS. – F pr PF. (13.Fé3xf4)
GAUCHER. – Coup de galerie.
THEORIC. – C’est une partie à écrire.
BOURGOGNE. – A ses parents. Si vous avez une famille, le télégraphe est à deux pas.
GAUCHER. – Il a, ma foi, cueilli le pion noir. Il donne le Fou pour le Négrillon. Les Fous ne coûtent pas cher, à la Régence.
CLASSIC. - …………Ces illustres échanges
                     Veulent être signés d’un nom que je n’ai pas.
BOURGOGNE. – Crosse-moi ce Fou.
CLASSIC. – Les Fous sont aux échecs les plus proches des Rois.
BOURGOGNE. – Ne parlons pas politique. Ces plaisanteries sont déplacées dans les circonstances graves où va se trouver Poussebois… Prends le Lorgneur, Abdel.
ABDEL. – P pr F. (13….é5xf4)
BOURGOGNE. – Enlevez, c’est pesé.

Abdel fredonne une modulation orientale, d’un rythme sourd et monotone, sur le mot : soun Patchouli…

BOURGOGNE. – Tu chantes, et l’Helvétie pleure sa liberté.  
THEORIC. – Eh ! Eh ! rira bien …
BOURGOGNE. – Qui rira par derrière. Il y aura encore une belle heure pour la gaîté française.
ABDEL. – Oune fait troup de brouit par ici. Oune n’aime pas le brouit à Paris.
BOURGOGNE. – Et à Carcassonne.
POUSSEBOIS. – P.5R. Echec (14.é4-é5+)        
BOURGOGNE. – Voilà un Pion qui a du toupet, par exemple. Abdel, méfie-toi.
GAUCHER. – Nous entrons dans la sphère des coups fins. C’est plein d’astuce et de malice.
THEORIC. – Il y a des pions qui ont un bel avenir.
BOURGOGNE. – Qu’est le Pion ?
THEORIC. – Rien.
BOURGOGNE. – Que doit-il être ?
THEORIC. – Tout.
ABDEL. – Oune pioune est oune pioune.
BOURGOGNE. – Oui, sans doute, un pion est un pion ; mais si tu prends celui-là, Abdel-Albil, suis bien ce raisonnement sur l’enchaînement fatal des coups : si donc tu prenais le Pion, avec cette voracité qui est mauvaise conseillère, tu perdrais ta Dame. Veille sur Célestine. Elle serait compromise, je dirai mieux, elle se laisserait enlever comme un ballon captif.
CLASSIC. – Vertueuse Zaïre, ô ma chère princesse !
ABDEL. – Veux-tu, monsieur, me laisser tranquille ?
BOURGOGNE. – non, je ne te laisserai pas tranquille ; je ne le peux pas, je ne le dois pas ; je manquerais au plus impérieux de tous mes devoirs, si je te laissais patauger dans les pièges marécageux où ton monarque infortuné va patauger tout-à-l’heure. Je le répète, avec la conviction la plus mathématique, que si tu prends ce petit roquet de Pion, tu perds ta Dame.
CLASSIC. – Elle est à toi, puisque tu l’embellis.
ABDEL. – Il est bien malheureux, celui qui n’a plus de sultane.
BOURGOGNE. – Oh oui ! Et tu feras bien de le dire à toutes les blanchisseuses que tu rencontreras. Prends garde à ta Dame.
CLASSIC. - …… C’est vous, chaste Aricie.
ABDEL. – Je vois bienne.
BOURGOGNE. – Ah ! tu le vois. Il commencerait par te coller un échec avec le Cavalier ; tu serais forcé de prendre l’autre Pion, et alors, mais seulement alors, il ferait le grand roque en disant…
Mme DUFOUR. – Comme la lune.
BOURGOGNE. – Oui, comme la lune. La Tour de la Dame te donnerait un échec formidable, en plein dans l’équinoxiale, et ton monarque, en se garant, laisserait ta Dame noire, c’est-à-dire la Négresse, renversée par cette forte décharge d’artillerie. Heureusement tu as le temps de retirer Baptiste, et de le mettre à l’abri des mouches.
GAUCHER. – C’est égal, voilà un coup dur.
BOURGOGNE. – Et linoteux ; il est même légèrement aquatique et capitulard. Allons, ne fais pas le malin, Abdel, et remise Sa Majesté à la quatrième du Fou de la Dame.
CLASSIC. – Il n’est pas temps encore de répandre des larmes.
THEORIC. – Ca viendra tout-à-l’heure. Il va pleuvoir des échecs.
ABDEL. – R.4FD. (14….Rd6-ç5)  J’ai oune bounne case.
BOURGOGNE. – Ca te fait une belle jambe, mon bonhomme.
POUSSEBOIS. – C.4TD. Echec. (15.Cb1-ç3+)
BOURGOGNE. – Dans l’eau. Nous avons le regret de supprimer ce Fol.
ABDEL. – R pr F. (15....Rç5xb5)
CLASSIC. – Timeo Danaos et dona ferentes.
Mme DUFOUR. – Des couchounneries, monsieur Abdel.
POUSSEBOIS. – D.2R. Echec. (16.Dh5-é2+)
BOURGOGNE. – C’est avec une sincère douleur que nous allons enlever ce Cavalier. Maintenant ça va pleuvoir comme des hallebardes, la pointe en bas. Pige ce Cavalier ; qu’il vide immédiatement les arçons.
GAUCHER. – S’il prend le Cavalier, il sera mat dans un nombre de coups facile à déterminer.
BOURGOGNE. – Et s’il ne le prend pas ?
GAUCHER. – Ah ! s’il ne le prend pas, il sera mat tout de même.
BOURGOGNE. – Alors, Abdel, puisqu’il en est ainsi, empoigne le Cavalier. A ta place, moi, je n’hésiterai pas.
ABDEL. – R pr C. (16….Rb5xa4)
CLASSIC. – Encore un qui ne l’aura pas, la Timbale.
POUSSEBOIS. – D.4FD. Echec. (17.Dé2-ç4+)
BOURGOGNE. – C’est une série. Que le bon Dieu le bénisse. La situation devient très difficile. Joue en nullité.
CLASSIC. – Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix.
BOURGOGNE. – Vous ne voyez donc pas la position ?
CLASSIC. – Je crains tout, cher Abdel, et n’ai pas d’autre crainte.
THEORIC. – Il y a encore quelques bonnes cases.
ROMANTIC. – Choisis un tombe à ton gré.
BOURGOGNE. – Prends la meilleure. Ce Roi va au feu comme s’il était en porcelaine.
CLASSIC. – A vaincre sans péril on triomphe sans gloire.
ABDEL. – R.4T. (17….Ra4-a5)
THEORIC. – Belle défense du Noir.
POUSSEBOIS. – P.4CD Echec (18.b2-b4+)
BOURGOGNE. – Bats en retraite et replie-toi en désordre.
ABDEL. – R.5T. (18….Ra5-a4)
POUSSEBOIS. - D.3C Echec (19.Dç4-b3+)
BOURGOGNE. – Au Tyran, à Monsieur de Robespierre, à Baptiste, Philibert, ou Bertrand.
FLUTE. (fredonnant) – Les montagnards sont réunis.
TÊTE DE FLEUVE. (Sur un air de gigue). – Drododo – Dilidido – Dodo – Didilido – Do – Do.
ABDEL. – R.4C. (19….Ra4-b5)
THEORIC. – Le Mat se dessine.
CLASSIC. – Prince, continuez vos transports si charmants.
POUSSEBOIS. – P.4T. Echecs (20.a2-a4+)
ROMANTIC. – Le sanglier ne va-t-il pas découdre cette meute de Pions ?
BOURGOGNE. (Il chante) – Le capitaine, au même instant,
                                               Fait avancer son régiment.
GAUCHER. – Comprends-tu maintenant la faute capitale que tu as commise au quatorzième coup ? Tu ne chantes plus Soun Patchouli.
ABDEL. – Allez-vous me laisser tranquille, ou j’abandounne.
BOURGOGNE. – N’abandonne pas.
THEORIC. – On n’a perdu que quand on est mat.
ABDEL. – C’est le Conseil des Mouches, les employés du Sérail et de la Barbarie.
BOURGOGNE. – Mon ami, tu vas peut-être un peu loin. Puer, abige muscas.
ABDEL. – Soun Tutti des mangeurs de Patchouli.
BOURGOGNE. – Abdel-Albil, tu t’abuses ; ces messieurs font des vœux en ta faveur.
ABDEL. – Ils feraient mieux de travailler, ceux qui soun fainéanne et gourmanne.
BOURGOGNE. – Je comprends que tu ne sois pas gracieux, car tu perds une belle partie.
VIARDOT. – Le moment est solennel.
CLASSIC. – Imitons de Conrart le silence prudent.
GAUCHER. – Nous allons bien rire.
BOURGOGNE. – Et boire à la mort de ces messieurs, qui, nous l’espérons, ne se fera pas attendre. Abdel, ta dernière heure sonne. Comment trouves-tu le bouillon ? Bon. Tu es fichu. Tombe en héros. Entonne le chant de mort du cannibale au poteau de guerre. Chantons !
ABDEL. – R.3C. (20….Rb5-b6)
TÊTE DE FLEUVE. – A ô ô ô ô – dilidido – do.
BOURGOGNE. – Voici l’instant suprême, l’instant de nos adieux.
ROMANTIC. – Ah ! ce fut un combat terrible et hasardeux,
                          Où l’homme et le lion rugissait tous les deux.
POUSSEBOIS. – P.5T. Echec, monsieur Abdel-Aga. (21.a4-a5+)
GAUCHER. – Ca se corse.
BOURGOGNE. – Aux cheveux plats.
ABDEL. – R.4C. (21….Rb6-b5)
BOURGOGNE. – La Case de l’oncle Tom. Occupe-la militairement. Allons, il n’y en a pas deux, choisis-la. (Il chante).
Y n’y a qu’un coup
Y n’y en a qu’un
POUSSEBOIS. – P.4F. Echec. Monsieur Abdel-Bey (22.ç2-ç4+)
GAUCHER. – Il est mordu.
ROMANTIC. – Celui-là mord du moins avec des dents de fer.
GAUCHER. – Pas de faiblesse.
CLASSIC. - Gagner ne puis, Pat ne daigne, Mat suis.
ABDEL. – R.3T. (22….Rb5-a6)
CLASSIC. - …… Les chants avaient cessé.
POUSSEBOIS. – P.5C. Echec et Mat, monsieur Abdel-Pacha. (23.b4-b5#)
Mme DUFOUR. – Bonjour, Madame Dufour.
POUSSEBOIS. – La revanche ?
ABDEL. – Oune seule, la dernière.
BOURGOGNE. – Abdel, tu m’affliges.

CHARLES JOLIET.

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